J’ai du goût :
Pour la musique de Sciarrino
Pour ce que Jabès ne pouvait pas dire
Pour le subjonctif, qui serait le vide justement
Pour l’œuvre de Gérard Grisey
Pour la fiction chez Borges, jusque dans ses essais
Pour les descriptions chez Gautier
Pour la musique de Monteverdi
Pour les excès d’Artaud, qui pensait clairement
Pour les derniers quatuors de Beethoven
Pour les inventions de Léon Bloy, qui ne pensait pas clairement
Pour le deuxième quatuor de Ligeti
Pour l’œuvre de Ligeti, puisqu’on en parle
Pour la peinture de Warhole, malgrè tout
Pour la musique de Schutz
Pour les timbres chez Mahler
Pour l’anodin
Pour la musique de Lachenmann, qui ne s’excuse pas
Pour celle de Nono, que défie l’entendement
Pour tout ce qui se trouvre sur l’Internet
Pour le raisonnement logique, sans la conclusion
Pour le pantalon trop haut de Bogart
Pour la musique de Henze dans un film de Resnais
Pour les films de Chaplin
Pour les écrits de René Clair
Pour les couleurs chez Klee
Pour la rigueur apparente chez Hans Van Manen
Pour la musique de Stockhausen, qui en a écrit peu finalement
Pour la musique
Pour l’orchestre avant le concert
Pour la nuque de Sofia Loren, qui a beaucoup trop à faire
Pour le Mozart Requiem de Jean-Charles Gil
Pour le cinéma qui fait des films
Pour les films de Herzog, qui connaissent le cinéma
Pour le ski
Pour l’élègance dense et généreuse de Villiers de l’Isle-Adam
Pour la retenue de Leonard Cohen
Pour les sols accidentés
Pour la clarinette, doublée du trombone
Pour la fragilité du son chez Billone, jusque dans les fortissimos
Pour les bruits de la ville
Pour ce qui résiste l’entendement
Pour l’espace entre une oreille et la nuque
Pour le mysticisme chez les autres
Pour les démonstrations de gentillesse
Pour le romantisme
Pour la discrétion chez Gainsbourg
Pour la syntaxe des générations précédentes
Pour les accidents dans mon travail
Pour le Bleu d’Auvergne
Pour l’obscur dans les fictions de Mircea Eliade
Pour l’engouement de Tschichold
Pour ce que fait Sylvie Guillem quand elle danse
Pour les jeux de mots
Pour le Coro de Berio
Pour la Saab 900
Pour l’orchestration chez Roussel, qui fait place au vide sans pour autant être aérée
Pour la finesse de Tom Waits
Pour l’esprit de Paul Rand
Pour l’espace inversé chez Cunningham
Pour les gros mots
Pour le chocolat noir à la fleur de sel
Pour les vieux pianos droits de concert
Pour les essais et les portraits de Valéry
Pour les écrits de Debussy
Pour la poésie de Rimbaud, à dix-sept ans
Pour l’idée de la poésie de Rimbaud après dix-sept ans
Pour les essais de Godard, qui forcent au cinéma
Pour le cinéma de Kurosawa
Pour la fougue de Fellini, qui faisait du cinéma
Pour la musique de Bergman, qui la faisait au cinéma
Pour la photographie ratée
Pour les silences chez Ravel
Pour les silences de la typographie chez Cummings
Pour l’allure alambiquée du Mendoza, que sa robustesse cache bien
Pour les oiseaux le matin
Pour l’embarras au théatre
Pour le passé, qui ne finit pas
Pour la musique telle que l’entendait Cage
Pour le cinéma des premières images de Mort à Venise
Pour les livres éparses
Pour ce qui pourrait se passer
Pour l’œuvre de Frutiger
Pour « les chansons de Bilitis »
Pour la diction de Téa Leoni, puisqu’elle a le regard intelligent
Pour Woody Allen, qui fait du cinéma sans s’en soucier
Pour la peinture de Hartigan, comme toute anomalie
Pour les visages qui ont subi le soleil et le vent
Pour la simplicité qui vient avec l’âge
Pour le Pulcinella de Stravinsky
Pour le Sacre du Printemps
Pour la poésie de Jean-Jouve, qui ne se rapporte pas
Pour les conférences de Stravinsky à Harvard, qui ne donnent pas dans la théorie
Pour le théatre musical
Pour la musique décidemment objective de Hurel
Pour les quatuors de Bartòk, le deuxième mouvement du cinquième surtout
Pour l’œuvre de Matisse
Pour le quatuor Diotima, moins sec que l’autre...
Pour la musique de Reich
Pour le croquis de Stravinsky par Picasso
Pour les proportions dans la peinture de Picasso
Pour les mains, qui ne cachent jamais le caractère
Pour le tennis, même à la télé

Je n’ai pas de goût :
Pour tout ce(ux) qui se (re)trouve(nt) sur l’Internet
Pour la rigidité Nord-Américaine
Pour les politiciens
Pour la vulgarité
Pour le marketing, puisqu’il est mal employé
Pour la décoration
Pour la poésie de Borges
Pour le Messie de Haendel
Pour la musique de Saint-Saëns
Pour l’existentialisme, qui est une faute de goût
Pour le téléphone portable, aussi une faute de goût
Pour les conclusions de la logique
Pour le pantalon trop haut de De Gaulle
Pour la poésie d’Aragon
Pour les voitures
Pour le dogmatisme de Tschichold
Pour les films qui ne font pas de cinéma
Pour la peinture de Dali
Pour la virtuosité
Pour Pivot
Pour la télévision
Pour les dentitions parfaites
Pour la musique de film
Pour la poésie de Valéry
Pour la vulgarité de Tim Burton, qui ne fait même pas de films
Pour le Jazz passé les premières minutes
Pour facebook
Pour la musique de Glass
Pour les livres de la Pléiade
Pour le tramway qui traversera le centre d’Angers
Pour les sports d’équipe

En réponse à des lectures :
L’intelligence: le mieux est d’en avoir l’air
Et si l’art avait pour objet, et comme difficulté, l’évidence justement.
Le charme est supérieur à la beauté, elle-même supérieure au sex-appeal.
La difficulté du service est qu’il expose.
La campagne ne sent pas bon, c’est la ville qui sent mauvais.

J’aurais voulu :
Pouvoir quitter Paris
Ne pas aimer les films de Chaplin
Ne pas lire certains livres, que je ne regrette pas d’avoir lu
Me convaincre de ne pas aimer Wenders
Comprendre les écrits de Stockhausen
Convaincre que j’étais intéressé au Lycée
Apprendre le Russe
Que Breton fasse du cinéma
Que Cage n’écrive pas de musique, tout en restant compositeur
Que Gogol finisse ses Ames Mortes
Passer plus d’heures en cours de Maths au Lycée
Que Mahler n’écrive que neuf symphonies
Que Stravinsky n’écrive pas son Sacre, qui est incontournable
Ne pas trouver un peu de charme dans quelques dentitions trop parfaites
Lire Dostoievsky dans le texte
Que Rimbaud écrive « a, vert; e, noir; o, mauve; i, jaune; u, bleu »
Que le beau rouge soit moins rare
Que « o » soit ce rouge
Que Mordecai ne connaisse pas Klee
Soutenir mon intérêt pour la poésie de Saint-John Perse